Un énorme coup de cœur. J'ai tout aimé de cette pièce, le sujet (Pierre Molinier), l'acteur principal (Pierre Maillet), la mise en scène...
Le 23 février, Bruno Geslin remet en scène Mes Jambes si vous saviez quelle fumée, à la comédie de Caen, dix ans après la dernière mise en scène et vingt ans après la première représentation. Ce spectacle est un spectacle biographique romancé, basé sur la vie du photographe et peintre surréaliste Pierre Molinier et sur ses échanges avec Pierre Chaveau. De celui-ci découle une envie de mettre en lumière un artiste important et pourtant dans l’ombre, tout en explorant l’impact du temps sur les corps et sur le spectacle en lui-même, puisqu’ils le reprennent tous les dix ans.
La scénographie qu’a imaginée Geslin est le décor d’un appartement ou d’un studio réaliste, avec un concept de paravents permettant aux comédiens de se cacher ou d’entrer et sortir. Il y a aussi un dispositif d’écran, ce qui permet la projection de vidéos et de photographies, celles de Pierre Molinier ou des comédiens (Pierre Maillet, Jean-François Auguste et Élise Vigier) il y a dix ou vingt ans, ce qui montre la différence entre les comédiens que le public voit et les comédiens d’il y a plusieurs années. L’écran permet aussi d’effectuer un jeu avec les ombres de comédiens cachés derrière.
Le spectacle est presque entièrement composé de tirades de Molinier avec une adresse épique, les autres comédiens ne parlant que très peu, voire pas du tout. Les seules autres voix que le spectateur peut entendre sont des voix préenregistrées, dont celle de Pierre Molinier lui-même. Cette absence d’autres voix réelles sur scène produit un effet de face-à-face avec Molinier, qui, de plus, s’adresse plusieurs fois au public dans un jeu réaliste, allant même jusqu’à sortir de scène et rejoindre les spectateurs.
Les lumières sont multiples, on retrouve à plusieurs moments de la lumière rouge, pouvant faire penser aux chambres rouges de développement photographique et pouvant aussi mettre le spectateur mal à l’aise. Cependant, la lumière varie tout de même, bien que la plupart du temps elle reste tamisée et provient parfois uniquement de la lampe du bureau de Molinier.
La musique et la vidéo sont très utilisées dans cette mise en scène, et ce dès le début. Le spectacle débute avec une projection qui peut perturber le spectateur, suivie du striptease des comédiens, révélant les costumes pour la plupart du spectacle soit des corsets et des bas, pouvant surprendre le spectateur. Cependant, la grande majorité du spectacle semble avoir pour objectif de perturber, de mettre mal à l’aise, par le sujet des tirades, par les images montrées ou bien par la dimension sonore. On retrouve des musiques modernes et répétitives, un enregistrement et des photographies érotiques, le tout avec un personnage parlant de sexe directement au spectateur, ce qui crée un sentiment de malaise et de confusion.
En somme, cette mise en scène par Bruno Geslin offre une exploration audacieuse et perturbante de la vie de Pierre Molinier. Avec une scénographie immersive, l'utilisation inventive de la lumière, de la vidéo et de la musique, et une adresse épique, ce spectacle réussit à captiver le public tout en le confrontant à des thèmes troublants et provocateurs, dans l’esprit de Pierre Molinier.
Crédit photo : Jean-Louis Fernandez ; Pierre Molinier ; moi-même.
(21/02/24 et 23/02/24)